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La guerre, la maladie et les changements climatiques se déclinent en 128images primées par le prestigieux concours de photographies World Press Photo, dont la 17eexposition débute à Montréal mercredi.
Le monde brûle, s’assèche et combat. Les humains font face aux inégalités, à la corruption et aux conflits armés dans lesquels périssent des enfants. Nos constats sur l’état du monde sont éprouvants et sans équivoque lorsqu’on arpente les murs de la galerie du Marché Bonsecours.
Plus de 60000photos provenant de 130pays ont été soumises au concours cette année. Dans les différentes catégories, 31personnes ont été récompensées, dont le photographe documentaire québécois Charles-Frédérick Ouellet, qui est la deuxième personne originaire du Québec à être sélectionnée parmi les vainqueurs. Seul Roger Lemoyne, en 1999, avait réussi le même accomplissement.
Charles-Frédérick Ouellet avait soumis au concours une série d’images captées à l’été 2023 au cœur des feux qui ont terrassé les forêts de la province. S’intéressant à la régénération des sols, le photographe a suivi une formation de la SOPFEU afin de pouvoir se joindre aux équipes déployées sur le terrain pour combattre les incendies.
Je crois que le jury a sélectionné une image qui avait un caractère iconique, qui pouvait transcrire une situation à l'intérieur d'une seule image
, explique le photographe devant la photo sur laquelle on aperçoit le combattant auxiliaire Théo Dagnaud, juché sur un rocher pour vérifier que le sol autour de lui ne représente plus de risques.
Le photographe québécois a été récompensé dans la catégorie Images seules, mais le cliché sélectionné fait partie de la série Force majeure, exposée en entier au deuxième étage de la galerie. C'est sûr que, comme photographe, on souhaite toujours que la série complète soit prise. La narration visuelle a été construite de manière à ce que ça fonctionne à l'intérieur d'une dizaine d'images
, souligne-t-il, néanmoins très fier de sa présence parmi les artistes primés.
Pour la directrice de l’exposition MarikaCukrowski, la photo gagnante du Québécois se distingue par ce qu’elle signifie au-delà de ce qu’elle montre. Les troisaxes qui sont explorés par les membres du jury sont l’aspect visuel et artistique de l’image, l’histoire qu’elle raconte et ce qu’elle représente, explique-t-elle. J’ai le sentiment que le Canada, dans le monde, est vu comme une étendue naturelle inépuisable. La photo de Charles nous montre que, comme partout ailleurs, les changements climatiques sévissent ici aussi.
Ce qui résonne avec le plus d’ardeur pour Charles-FrédérickOuellet, c’est la fatigue qui se déploie dans toutes les facettes de l’image.
J’aime que l'on comprenne la fatigue de l’être humain en même temps que la fatigue du territoire.
Pour lui, l’immersion sur le terrain est cruciale pour effectuer un travail photographique de haut niveau. Il faut être capable de comprendre ce que les gens vivent, tisser des liens avec une équipe, sentir que tu transcris visuellement d'une manière honnête et fidèle ce qui se passe, dit-il. J'ouvre une espèce d'imaginaire plus poétique autour de ça pour dire que ce qu’il y a sur la photo, ce n'est pas juste des faits, c'est une relation à la vie.
Il est également soucieux de laisser des indices pour mener à une compréhension de ce qu’il se passe à l’extérieur de l’image. Pour moi, le regard de Théo qui sort littéralement de l'image vous oblige à regarder à l'extérieur, indique-t-il. Il y a quelque chose qui vous garde dans la scène. On circule dedans, on se pose des questions, et il y a beaucoup de couches de sens à trouver.
VincentBolduc est le porte-parole du World Press Photo de Montréal
Il a été particulièrement marqué par la photo Lutter, ne pas sombrer d’Eddie Jim:
C'est une photo que j'avais vue dans le livre, parmi tant d'autres, un grand-papa d'une communauté dans les îles Fiji qui amène son fils à l'endroit où se situait le rivage dans son temps. On voit la main du grand-papa qui tient son petit-fils sous l’eau. On sent une volonté de le protéger et de regarder vers l'avenir avec une part de colère, mais de résignation. L'eau est proche de la bouche de l’enfant et on sent que les minutes sont comptées pour que l'eau monte plus haut encore, mais il y a cette solidarité, cette notion de passation. Quand je regarde une photo comme ça, je vois où débute le changement climatique, comment il ne fait que commencer et comment on le transmet sans le régler.
Mourir pour porter les images
Le concours qui a vu le jour à Amsterdam en 1955 continue de fasciner par la puissance des images qui n’ont pas besoin de mots.
Ce qu’on voulait faire ressortir de l’exposition 2024, c’est la prise de risque des médias qui risquent carrément leur vie pour rapporter des images
, indique Marika Cukrowski en pointant la photo qui est la grande gagnante de l’année toutes catégories confondues.
Nous pouvons voir dans quel état est le monde à travers le regard des photographes, mais 116représentants des médias ont perdu la vie à Gaza depuis octobre.
La photo gagnante, intitulée Une femme palestinienne serre le corps de sa nièce, a permis au jury de mettre de l’avant l’évènement de l’actualité qu’ils jugeaient le plus important, mais ils ont volontairement évité de sélectionner une image où on aurait vu le visage d’enfants morts
, rapporte la directrice de l’exposition. On comprend tout sans montrer l’horreur, ajoute-t-elle. Et le photographe gagnant travaille toujours à Gaza en ce moment.
La douleur d’un père du photographe turc Adem Altan fait également partie des scènes qui nous donnent l’impression de faire énormément de bruit même si elles sont figées sur le papier. Cette photo contient tous les éléments d’une image iconique, croit Marika Cukrowski. On y voit la perte humaine du père qui ne veut pas lâcher la main de sa fille décédée dans les débris du tremblement de terre, puis on comprend les dommages de la catastrophe naturelle et on est même capable de poursuivre la réflexion et de comprendre les problèmes de corruption dans ce pays qui ont fait en sorte que l’immeuble dans lequel se trouvait la jeune fille n’avait pas été construit selon les normes sismiques.
Si le parcours du World Press Photo cette année est particulièrement lourd
selon la directrice de l’exposition, elle croit qu’il est néanmoins empreint d’une vérité dont il est primordial de se soucier. Certaines photographies choisies sont porteuses d’espoir et j’aimerais que les reportages constructifs, qui amènent des réponses, se multiplient dans les prochaines années
, ajoute-t-elle.
Elle remarque également qu’il est encore difficile de faire rayonner le travail des femmes photographes. Il y a du progrès, mais je sais qu’il peut y avoir encore plus de gagnantes l’an prochain, dit-elle. Nous nous assurons de toujours choisir plus de 50% de femmes ou personnes non binaires dans notre jury.
Le World Press Photo Montréal se déroule jusqu’au 14octobre au Marché Bonsecours.
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Élise Jetté